Une saison graphique 19

Impressions du Havre

« Impressions du Havre »

A/L'affiche pour Une Saison Graphique 19 a été pensée parallèlement à l'exposition, son introduction servira donc a en esquisser le sujet. Composée uniquement en ligne claire au départ, l'affiche relate le cycle du soleil, du lever au coucher, exprimant l'est et l'ouest avec le ferrage des arcs marqué tantôt à droite, tantôt à gauche. Conçue en tête-bêche, il est possible de l'apposer dans un sens comme dans l'autre, selon ses envies de jour ou de nuit. Par ailleurs, elle est vouée a être pliée en deux, dans le sens horizontal, de sorte à traduire le reflet d'un coucher de soleil havrais dans la mer. Les couleurs complémentaires confèrent davantage de poids à la dualité diurne-nocturne, aube-crépuscule. Les cercles en strates d'opacité qui disparaissent progressivement apportent quant à eux un sentiment de lumière et de profondeur, ils cristallisent l'attention au centre à la manière d'une longue-vue. Ce focus produit l'effet d'une image non-finie, caractère inachevé recherché pour attester de l'aspect « work in progress », chantier expérimental, qui apparaît comme primordial dans ce projet. De loin, les noms des graphistes invités s'apparentent à des nuages ou des oiseaux qui habillent l'immencité du ciel. Et quel ciel !

Le Havre, cité normande célébrée par de nombreux artistes pour ses couchers de soleil imprenables, est de ce fait l'un des berceaux de l'impressionisme. En parcourant l'héritage des peintres impressionistes, infatiguables capteurs de la fugacité des paysages et de la mouvance des phénomènes climatiques, la question posée alors était la suivante : quelle traduction graphique de la lumière par la couleur ? En se remémorant des séries de Monet (les meules de foin, la cathédrale de Rouen ou les nymphéas), on saisit bien toutes les intuitions colorées nécéssaires à la représentation du passage des saisons ou des périodes de la journée. Dans une approche disons picturale, il est intéressant de constater le lien fort qui peut exister entre le pointillisme et le matriciel, à la différence que le pixel et le point de trame se substituent aux touches de couleurs appliquées au pinceau. Le terme « impression », si bien choisi par Monet à l'époque (voir à ce sujet l'histoire fascinante de son œuvre « Impression, Soleil levant » sur Wikipédia en suivant ce lien —> https://fr.wikipedia.org/wiki/Impression,_soleil_levant) semble une fois de plus idéal pour parler tant de la sensation visuelle, de la perception, que de l'imprimé. Nous voilà partis en quête initiatique, à la recherche du procédé le plus à même de traduire tel ressenti visuel, à matérialiser au mieux sa plasticité et son expressivité, de suggérer aussi bien l'éblouissement d'un astre que le tumulte d'une mer agitée.


B/Ce texte a été écrit en février 2019 et projette l'installation dans son espace d'exposition, à la manière d'un état des lieux, imaginaire. Description à l'aveugle, il s'appréhende comme une étape du projet en cours de réalisation, avec ce que cet instantanné induit comme « marge d'erreur » d'avec le résultat final.

L’exposition pour USG 19 prendra la forme d’une installation graphique immersive, création originale pour ce lieu de passage qu'est la Consigne SNCF. Elle proposera au visiteur une incursion dans une carte postale dont on pourra « traverser » les différents plans. Un travail de médiation opéré auprès des étudiants du lycée Saint-Vincent-de-Paul les invitera à la création d'images par un travail de captation et de recherche graphique. Cet échange se fera sur fond de « culture libre » à travers la manipulation d’outils, de logiciels et d'images libres, et par la diffusion des contenus qui en résultent.

Le paysage, construit à partir d'un ensemble de plusieurs photographies, se voit décomposé par les différents plans de l’image, comme un « éclaté » dans le jargon du dessin technique. L'installation in-situ et au sol s’appuie sur la perspective du lieu et sa configuration, elle implique une mobilité des yeux et du corps pour être appréciée. Les plans sont donc pensés à échelle humaine, debouts et recto-verso — puisqu'il y a circulation du spectateur il ne faudrait pas qu'il puisse voir l'envers du décor. Recréer un espace 2D en 3D permet de faire basculer l'image en qualité de document au rang de diorama « graphique » et ainsi de la rendre pénétrable. Historiquement, on parle de diorama lorsqu'un élément en volume se détache d'un fond peint, comme on peut le voir dans certains muséums zoologiques par exemple, avec une espèce animale empaillée resituée dans son habitat naturel et mise en exergue par rapport à ce milieu. La déambulation se fait alors physiquement et par le regard, « voir en marchant » comme le suggèrent les études d'Herbert Bayer.

Ce parcours visuel amène également le visiteur à se demander ce qu'il y a « derrière » les images, de fait, il aborde ce coucher de soleil de manière frontale via la vitrine, mais peut aussi tourner autour des plans et voir ce qui habituellement est invisible une fois à l'intérieur de l'espace. Le verso offre à vue un lever de soleil. Au même moment qu'il découvrira le dos des pans, il apercevra une zone réfléchissante sur la vitre face au dispositif. Le film miroir sans tain conservera la vue au travers depuis l'extérieur et autorisera une surface miroitante à l'intérieur, permettant d'observer l'image au moment du coucher et du lever simultanément. Ce dédoublement, rendus positif et négatif d'une même occurrence, a pour but de troubler la perception spatiale, mais aussi d'entraîner l'immersion du public. En effet, le reflet permet de saisir l’image dans son intégralité, toutes les couches à la fois, ce qui n’est pas forcément le cas en dehors du miroir puisque le spectateur n’a pas assez de recul dans l'enceinte des murs.

En dehors d'une vision globale, de plus petits supports, inclinés contre les parois principales, proposent des vues de détails, des zooms, d'autres angles et points de vue. De la même façon, des médiums apposés à plat et à même le sol serviraient d'ombres et de reflets aux plans majeurs, ils pourront être déployés à l'instar d'un loporello voire feuilletés au nombre de quelques pages, dévoilant des variations lumineuses de l'image, comme si le temps passait au fil des volets tournés, comme si les heures de la journée défilaient. La finalité de ces alternances de formats étant un jeu entre la verticalité et l'horizontalité des supports, avec un traitement graphique différent pour chacun d'entre-eux. Les ombres et reflets servent à appuyer la « réalité » d'une image, la projection de l'ombre de la vitrine au sol à l'extérieur semble donc être un bon moyen de donner une âme à ce soleil, de le rendre palpable. Qui plus est, l'espace extérieur et celui de la vitrine seraient davantage intégrés à l'espace d'exposition, l'intérieur et l'extérieur se verraient inversés, confondus, ce serait comme « rentrer dehors ». Sans doute, la silhouette dessinée par les rayons fictifs attiserait encore la curiosité des passants. Des éléments de 1e plan pourraient apparaître ponctuellement sur la vitrine, celle-ci jouerait alors le rôle d'écran, d'interface entre le spectateur et l'image et ferait pleinement corps avec le dispositif.

Cette dite vitrine présentera le panorama dans sa partie centrale, avec un report du cadre de l'image (et éventuellement sur le sol, dedans). Est envisagé aussi la reprise du quadrillage de l'image, avec les intersections uniquement, qui pourraient servir de repères, comme une partition du format. Non sans rappeler les systèmes de construction du dessin académique, le clin d'œil s'adresse plus encore aux grilles de composition de Josef Müller-Brockmann, où la mise en page d'un livre se transpose dans un cube en trois dimensions.

Enfin, la documentation et la médiation du projet seraient accessibles en ligne depuis un lien web, où il serait possible par exemple de consulter un set de cartes postales, corpus regroupant toutes les images produites, tous les essais graphiques. Présentes dans la galerie sous la forme d'une collection risographiée, elles donneraient une vision lisse de l'image fragmentée dans le hall de la Consigne. Chaque specimen serait imprimé en plusieurs exemplaires, comme autant de multiples que le visiteur pourrait emmener avec lui : symboliquement, il était pertinent de choisir la carte postale comme support d'archive pour sa propension à l'itinérance, qu'elle soit en ligne, emportée par une personne de passage ou bien envoyée par voie postale.


Librement,
bons baisers du Havre.

Strasbourg, le 21 février 2019.

A/

Version de l'affiche en noir et blanc, couche essentielle/structurelle.

Affiche altérée par un bug d'affichage du logiciel de visionnage d'image.

Claude Monet, « Impression, Soleil levant », huile sur toile, 1872, musée Marmottan, Paris.

Captures d'écran, Wikimedias Commons (sunsets filed by color), site consulté en décembre 2018.

Capture d'écran, « Hotline Miami 2 : Wrong Number », développé par Dennaton Games et Abstraction Games, édité chez Devolver Digital, 2015, jeu consulté en février 2019.

Herbert Bayer, « 11. Great Ideas of Western man », lithographie offset, 1965. Son répertoire de recherche en matière de couleur et de composition est inépuisable.

Photomontage à partir d'éléments visuels libres (Wikimedias Commons), décembre 2018.

B/

Schématisation du montage avec distinction des différents plans.

Herbert Bayer,« Diagrammes de la Vision étendue » (extrait), 1936.

Schéma de la circulation du spectateur dans l'installation, promenade à travers les plans de l'image.

Cadrage de l'image (cf. montage) dans l'installation.

Vue de dessus de l'installation dans l'espace de la Consigne, avec projection au sol de la vitrine.

Quadrillage de l'image « source » et projection sur la vitrine de la Consigne.

Josef Müller-Brockmann, « Grid in the three-dimensional space », croquis extrait de « Grid systems in graphic design », Niggli Editions, 2011.

Vues des variations de l'installation, avec plans inclinés et formats au sol à déployer.