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« Ah ! La danse atomique, y’en a pas des plus chics ».

En ce repas de Noël 2019, j’ai pris connaissance d’une information dont j’ignorais totalement l’existence et qui pourtant me paraît surréaliste. Je souhaitais donc partager les propos que ma grand-mère a tenu ce soir-là.
Dans les années 50, lors des bals populaires, elle et ses amis avaient coutume de s’adonner à une danse des plus what the fuck ; la valse dite « atomique ». Avant d’en débattre, je joins les paroles de la chanson éponyme dont elle nous a fredonné le refrain ainsi qu'un lien pour l'écouter. Son titre est Ah ! La danse atomique (T'as qu'à Ra Boum Dié* !), le morceau est ici interprété par Henri Decker.
*Que j’ai trouvé aussi sous les formes de « Tha-ma-ra-Boum-Di-hé » (je ne sais pas de quelle langue il s’agit ni si s’en est une) et « Ta-ra-ra Boom-De-ay » pour son homologue anglais. Je n’exclue pas une transformation occidentale progressive d’une formule usurpée à une culture extra-européenne… Cependant je n’en devine pas le sens, ni même s’il y en a un finalement. C’est une question à creuser !

Une variante, interprétée par Jacques Hélian et son Orchestre cette fois, sur une composition musicale de Henri Bourtayre et les paroles que l’on « doit » à Maurice Vandair selon cette source. Il est possible que la version citée précédemment soit signée des mêmes auteurs.
Évidemment, les paroles sont plus que merdiques et il y a nombre d’allusions racistes, sexistes, etc. à relever. Ce n’était cependant pas ce que je souhaitais soulever à travers ce billet, même si leur lecture en vaut la chandelle en termes d’ignominies.

Le titre apparaît sur la compilation Les Chansons de l’Histoire 1945 - 1949, une anthologie des chansons françaises (dont j’ignore la date de parution) : « Avec les voix de Winston Churchill, Bao-Daï, Charles De Gaulle, André Malraux, François Mitterand, Jean Delattre de Tassigny, Philippe Leclerc de Hautecloque, Alphonse Juin, etc. Chansons chantées par Jacques Pills, Charles Trenet, Georges Milton, Henri Decker, Pierre Dudan, Georges Ulmer, Suzy Solidor, etc. ». Liste complète des pistes ici.

Le choix du visuel de l’album me questionne beaucoup, j’ai l’impression que ça n’est pas vraiment représentatif du corpus. L’explosion, le champignon nucléaire, rappellerait la figure de danse — illustrée sur l’affiche ci-dessus (j’ai trouvé pour unique crédit les « éditions Paul Beuscher » au bas de l’image) — qui consiste en un porté, un lancé de sa partenaire (bien que l’affiche propose une version où les rôles sont inversés, il semblerait selon les dires de ma grand-mère, que ça ne se pratiquait que dans le sens attendu, on peut imaginer que la situation se soit présentée dans quelques cas, sur le ton de la plaisanterie sans doute ou pour des raisons de physionomie, inversées là aussi dans l’idée que la société se fait du genre, mais on se doute bien que les mœurs de l’époque n’était pas très permissives à cet égard), un lancé donc de sa partenaire de danse, et comme le voudrait la logique, un rattrapé. C’est là où le problème se pose, si le lancé était un exercice souvent réussi par les hommes, on ne peut pas en dire autant du rattrapage, très loin des prouesses de haute voltige ! Ma mamie nous a assuré qu’au vu des accidents trop nombreux, des atterrissages en catastrophe, cette valse très « particulière » a fini par disparaître, jugée trop dangereuse.

On aurait pu l’interdire aussi pour l’extrême mauvais goût qui me semble véhiculé dans la pratique de cette danse, juste après 45, comme une célébration des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki. Ne penser qu’à la victoire des Alliés, non aux dommages collatéraux et pertes civiles énormes engendrées. Leitmotiv de l’après-guerre, comme ce fût le cas dans les dérives sadiques des résistants auprès des femmes tondues pour avoir eu au moins une liaison avec l’ennemi, en l’occurrence le soldat allemand. J’imagine qu’on encourageait ses démonstrations de joies vengeresses à l’époque, sans recul. Les noms cyniques, odieux, des deux bombes A larguées font ironiquement écho au BA-DA-BOOM suivant le comique de la chute féminine évoquée plus haut : Fat Man tombe sur Little Boy, ou Fat Man explose Little Boy.