Troisième cybercabane (cybercabane Strasbourg <—> Dakar — Nouvelle fenêtre), pas une démo cette fois, mais un projet de collaboration, une conversation à distance avec une amie, dans laquelle nous échangeons sur des sujets intimes, politiques, sur le féminisme ou sur des questions de société. La partie "privée" de ces échanges a été effacée, pour ne garder que la substance réflexive, les références à se partager. La sélection du texte permet de révéler des éléments de contexte, sans quoi seuls les médias et liens apparaissent. Une cybercabane évolutive donc, à suivre !
J'ai mis en ligne une cybercabane, a priori, première d'une longue série. Comme je l'ai indiqué dans un précédent article, j'aimerai réaliser une collection de pages web, sur le mode de la démo, sans lien particulier entre-elles si ce n'est la liberté de ton ou le caractère expérimental (billet précédent sur les cybercabanes). Ces pages bricolées se retrouveront néanmoins dans un même répertoire, que j'ai déjà initialisé sur mon serveur à l'adresse suivante : http://marjorieober.com/cybercabanes/ — Nouvelle fenêtre.
Dans cet épisode, il s'agit d'un dialogue entre plusieurs boutons HTML qui dégénère. Voici le lien pour y accéder : cybercabanes sur les boutons — Nouvelle fenêtre. À suivre, dans les prochaines publications : l'esthétique du tableau, des formulaires absurdes, une page hommage à l'anime Sailor Moon, un site "invisible", à imaginer, sur lequel on naviguerait avec un lecteur d'écran. Des textes aussi en prévision, accompagnant peut-être certaines mises en œuvre web, notamment un essai critique sur les magical girls explorant le rapport du corps au pouvoir et la relation féminisme-technologie, en particulier l'émancipation des personnes sexisées de et par la technologie. Bonne visite :)
L’entrée en matière était lourde d’émotions puisque l’un des co-auteurs, Jean-Paul Klée, exprimait avec peine la fermeté à l’égard des militant⸱e⸱s anti-nucléaire, dont il fait parti et qui le menace directement d’une tentative judiciaire de psychiatrisation. Beaucoup de personnes du public n’ont pas compris son intervention et étaient ennuyées par ce discours sensible, pourtant poignant. Le temps de parole de cet honorable monsieur — illustre alsacien de la pensée contemporaine, activiste écologique, parfois en grande précarité par manque de soutien, notamment par son exclusion de l’Éducation nationale — s’est vu interrompu par ses confrères pour ne plus impatienter la foule qui attendait des réponses concrètes quant à l’arrêt effectif du premier réacteur de la centrale, dans la nuit du 21 au 22 février. Une pétition s’opposant à son internement injustifié circule silencieusement. Quelques applaudissements et encouragements surviendront tout de même en fin de conférence, après que les esprits aient été éclairés sur la réalité de la situation vécue par J.-P. Klée. La conversation reprend à peu près ainsi : notes sur la conférence autour du site nucléaire de Fessenheim (PDF, 45.7 Ko) — Nouvelle fenêtre, les intervenant⸱e⸱s se partageant la parole au ressenti, si l’on se fie au déroulé de mes notes.
Ce rappel des motivations de la production et de l’implantation nucléaire en France, et en Alsace particulièrement, est suivi d’une démonstration sans appel, déconstruisant un à un les arguments pro, et levant le voile sur le ridicule de l’obstination politique en sa faveur selon ses détracteurs. Mais mes frayeurs restent vives, quel futur annoncent le démantèlement, le traitement de la matière instable, et le réaménagement de ces sites morts ?
Les Kurdes exigent la libération de leur dirigeant légitime, Öcalan, fondateur du PKK, le parti travailliste kurde, aujourd'hui considéré comme une organisation terroriste par bon nombre de membres de la communauté internationale, dont la France. Le drapeau kurde est interdit en Allemagne à titre d'exemple. Des marches de soutien ont lieu régulièrement pour dénoncer cet emprisonnement, perçu comme une coalition entre états du nord (États-Unis, Russie par exemple) et états puissants du Moyen-Orient (comme la Turquie), qui s'évertuent à criminaliser la rébellion kurde, les oppresseurs jouent les oppressés, sur fond d'accords coloniaux… C'est typiquement ce que décrit Sarah Schulman dans son livre Le conflit n'est pas une agression, un ouvrage qui selon moi pense la révolution (au sens de changement majeur de logiciel) à l'échelle individuelle comme collective. Et quand on sait que les aspirations kurdes aujourd'hui, en dehors de la revendication d'un statut et d'une nouvelle constitution, visent à détruire conjointement le patriarcat et le capitalisme (potentiellement interdépendants l'un de l'autre), on comprend bien pourquoi, pour quels enjeux de pouvoir iels sont terrassé⸱e⸱s.
Aux côtés de forces paramilitaires féminines, le⸱a spectateurice traverse le Mont Quandil en Irak, une zone contrôlée par le Rojava, et y voit des cours d'Histoire et de féminisme donnés à des hommes par des femmes, armes d'assaut à la main. Non pas que les hommes étudient sous contrainte ou sous l'exercice d'une quelconque menace, ils viennent d'eux-mêmes pour se refaire une éducation, pour se déradicaliser de la domination masculine. Les femmes ont pris les armes pour protéger leurs consœurs des viols récurrents, où la mort en se jettant dans un fleuve est préférable au déshonneur du viol (et à la vie de femme répudiée qui s'en suit). Mais elles ont aussi pris les armes pour se battre aux côtés des hommes et défendre la population, prise à sac entre l'État Islamique et les milices turques d'Erdoğan qui viennent souvent sur leurs terres pour sévir. Elles sont désormais à la fois craintes et respectées. Et elles sont à l'instar des hommes, des martyres quelques fois. J'ai noté le nom d'Arin Mirkan, combattante d'une unité de protection populaire devenue célébrité locale pour s'être sacrifiée dans la bataille de Kobané, et qui a grandement contribué à ce que le Rojava en sorte vainqueur face à Daech. Les femmes ont maintenant le droit de mourir pour leur pays, de faire preuve de courage, d'être des héroïnes.
Si le rappel historique du Kurdistan, en particulier l'histoire de la résistance kurde, est très sain pour rafraîchir nos mémoires corrompues, le film montre surtout que l'avenir de l'humanité, s'il donne l'espoir qu'il est peut-être entre les mains de femmes et d'autres catégories sociales oppressées, est certainement ailleurs qu'en Europe ! Nous qui nous autorisons un regard très critique quant à la condition féminine au Moyen-Orient par exemple, nous voyons aussi qu'en tête des cortèges de manifestations kurdes, il y a les manifestantes. Au même titre que le Pink bloc, où les hommes cis ne composent pas les premiers rangs. Mais c'est encore une fois une place qui se prend, pas que l'on nous donne. Que faut-il retenir alors de l'initiative de ces femmes qui ont repris le pouvoir armes à la main ? Certes la situation de guerre (contre le terrorisme notamment) dans cette région du monde en dit long sur la nécessité de la protection armée, mais encore. Virginie Despentes se posait la question dans King Kong Theorie, je ne me souviens plus de la formulation exacte, mais c'était quelque chose comme « peut-être que les femmes arrêterons de se faire agresser quand elles se baladeront avec un cutter dans la poche », dans un épisode de l'émission Les couilles sur la table aux côtés de Victoire Tuaillon, elle déclare encore qu'« aller porter plainte chez les flics, c'est un peu comme aller voir papa, y a un truc qui va pas » (citation approximative). Assez vrai je trouve. Et les femmes du Rojava l'ont bien compris, il faut des villages de femmes pour traiter des problèmes inhérents à la gente féminine, sans ingérence cismasculine aucune. La camarade Sakine, une fondatrice du PKK, sauvagement assassinée à Paris en 2013 (un acte probablement commandité par la Turquie qui a suscité un grand émoi), les femmes de Dersim engagées en politique, toutes, sont autant de modèles auxquels s'identifier. Jeunes filles, soyez plus libres que vos aînées, « femme, vie, liberté ». Pour l'émancipation féminine et des minorités de genre, mais aussi pour celle du peuple, la question de la prise d'armes se pose, quand l'État ne répond plus de rien. Quand il ne protège pas voire participe à la persécution de sa population ou des personnes vivant sur son sol, et dans le cas des Kurdes, sans considération aucune pour le caractère arbitraire des frontières qui laissent pour apatride un peuple pourtant établit sur ces terres, dont les racines culturelles ou la langue ont tout autant à voir avec l'histoire de cette région que les pays voisins aux territoires strictement délimités, bien que plus ou moins choisis selon les cas. La violence est-elle légitime, nécessaire alors ? Le débat public s'en empare, voyons ce qu'il adviendra de cette problématisation.